Colloque 524 ACFAS 2023 – L’éducation par la nature en petite enfance.
Responsables: Caroline Bouchard, Anne-Sophie Parent*, Michèle Leboeuf**, Gillian Cante, Christelle Robert-Mazaye et Joanne Lehrer
L’éducation par la nature (EPN), un domaine de recherche encore en friche, s’appuie sur huit principes guidant l’action éducative en service éducatif à la petite enfance au Québec. Par exemple, les jeux et les explorations des enfants, points de départ de cette action éducative, sont inspirés par le matériel libre et polyvalent qu’ils y trouvent (branches, sable, eau, etc.; voir Leboeuf et Pronovost, 2020). Concrètement, l’EPN peut s’actualiser par la fréquentation régulière et prolongée (p. ex., 2 jours/sem., tout au long de l’année) de milieux naturels de proximité (boisé, berges, etc.). Elle constituerait une approche innovante pour soutenir l’apprentissage et le développement des jeunes enfants (p. ex., Kuo et al., 2019; Ulset et al., 2017). L’Université Laval (UL) et l’AQCPE, en partenariat, se consacrent notamment à la documenter dans le contexte particulier de la province, laquelle connaît un déploiement rapide de l’EPN, notamment depuis la pandémie de COVID-19. D’autres équipes de recherche au Québec et dans d’autres pays francophones étudient aussi différents aspects de cette approche pédagogique en pleine effervescence.
L’objectif général du présent colloque est de mettre en commun les résultats de travaux de recherche en EPN en petite enfance. De manière plus précise, il vise à faire un état des lieux quant aux champs (p. ex., éducation, santé), aux méthodes, aux approches et aux connaissances couverts par l’EPN dans divers pays francophones. Cela permettra de mieux cibler les besoins en termes de perspectives de recherche. Un autre objectif spécifique consiste à poursuivre des collaborations entre des chercheur·se·s provenant de différentes universités québécoises et internationales. Enfin, il vise à inscrire la recherche en EPN au cœur d’un dialogue entre les univers scientifique et pratique.
La présentation prend appui sur Le Cadre de référence : L’éducation par la nature en SGÉ (2020) duquel Michèle Leboeuf** était membre du comité de coordination et d’édition. Ce dernier est d’ailleurs maintenant disponible en anglais. Reference guide: Nature-based early childhood education.
BLOC 1 – APPORT DE L’ÉDUCATION PAR LA NATURE AU DÉVELOPPEMENT GLOBAL DE L’ENFANT
Résumé
Le « wild play » est une forme de jeu distincte et bénéfique pour les jeunes enfants, s’actualisant dans des expériences, des explorations et des processus réels où la nature joue un rôle de co-joueur. Lorsqu’elle a lieu dans un environnement naturel peu altéré, cette forme de jeu offre aux enfants de multiples occasions de complexifier leur action et leur pensée, en intégrant leur créativité, leur curiosité et leur spontanéité.
Cette conférence rassemble les réflexions issues de recherches qualitatives et post-qualitatives ayant porté sur des programmes de « wild play » dans lesquels les enfants vivent des expériences répétées et prolongées d’immersion en milieu naturel. La redéfinition de ce que nous entendons par « wild play » nous convie à envisager des changements fondamentaux en éducation à la petite enfance, en autres en élargissant les expériences offertes aux jeunes enfants.
Résumé
L’axe 1 de l’UMR Petite enfance Grandeur nature porte sur l’apport de l’éducation par la nature (ÉPN) au développement global du jeune enfant, thème auquel l’avant-midi du colloque est consacré. En guise d’introduction, cette présentation vise d’abord à faire un bref portrait des connaissances sur le sujet, en s’appuyant notamment sur des recensions systématiques des écrits (p. ex. Johnstone et al., 2022a, b; Kuo et al., 2019; Mygind et al., 2021). Tout en relevant certaines faiblesses méthodologiques, ces recensions font ressortir des associations positives entre l’ÉPN et les habiletés d’auto-régulation des enfants, leurs habiletés sociales ainsi que leur développement émotionnel. Des liens plus inconsistants apparaissent entre l’ÉPN et la capacité d’attention des enfants, entre autres. À la suite de ces travaux, notre équipe a aussi entrepris une revue systématique des écrits dont les constats préliminaires seront présentés. Par ailleurs, une autre étude met en lumière la perception de parents (n = 245) quant à la contribution de l’ÉPN au développement de leur enfant de 2 à 5 ans (Bouchard et al., soumis). Selon 89,7% d’entre eux, l’attitude de chercheur·se adoptée par leur enfant, comme le fait d’observer, se poser des questions et formuler des hypothèses s’est bonifiée à l’issue d’une année de fréquentation en milieu naturel. Ces constats seront discutés au regard de leur implication pour de futurs travaux en lien avec l’apport de l’ÉPN au développement global.
Résumé
Les fonctions exécutives [FE] sont des processus cognitifs permettant à l’enfant de contrôler intentionnellement ses émotions, pensées et comportements, en fonction d’objectifs précis (Zelazo et Müller, 2011). Les habiletés qui y sont liées (p.ex., inhibition, mémoire de travail) constituent un puissant prédicteur de sa réussite éducative, d’où la pertinence de les étudier en petite enfance. Pour ce faire, il semble essentiel de miser sur l’observation des manifestations comportementales associées aux FE, notamment dans des contextes naturels et signifiants. En ce sens, l’approche de l’éducation par la nature (ÉPN) apparait pertinente pour observer les habiletés de FE chez les jeunes enfants (Duval, Cadoret et Montminy, 2020). Plus précisément, l’enfant y a l’opportunité de diriger les expériences dans lesquelles il s’engage et de devenir un décideur autonome, favorisant le développement de ses FE (Barker et autres, 2014). L’objectif de cette étude exploratoire est d’observer les fonctions exécutives de 14 enfants de 4-5 ans d’un CPE de la région de Québec (Canada), au début et à la fin d’une année passée en milieu naturel. Des exemples de manifestations comportementales des habiletés de FE en contexte d’ÉPN seront présentés, tirés de l’Outil d’observation des fonctions exécutives en contextes éducatifs de la petite enfance (Duval et al., 2022). Une discussion sur les manières de reconnaitre et de soutenir les FE en contextes éducatifs viendra clore la présentation.
Résumé
Cette étude comparative vise à observer le jeu libre en nature d’enfants de 1 à 3 ans dans deux structures d’accueils de jeunes enfants : un centre petite enfance (CPE) au Québec et une crèche d’entreprise en France. Le jeu libre semble particulièrement bénéfique pour le développement de stratégies innovantes, du cerveau et des fonctions exécutives des jeunes enfants (Pelligrini et al., 2007; Yogman et al., 2018). En nature, le jeu favorise l’empathie et le sentiment d’urgence à prendre soin de l’environnement (Chawla, 2007; Ernst et al. 2021). Or, peu d’études ont été menées en milieux naturels chez les jeunes enfants (Josephidou et al., 2021).
Nos observations se sont déroulées selon le protocole « Tool for Observing Play Outdoors » (Loebach et Cox, 2020) en deux temps. Sept heures d’observations dans un CPE de la région de Québec (Canada) en 2022 puis six heures d’observations dans une crèche d’entreprise de la région de Colmar (France) en 2023. Nous nous sommes intéressés à identifier les typologies de jeux dans la forêt et les pratiques pédagogiques qui en favorisent l’émergence. Nous discuterons des résultats autour de deux principaux thèmes : 1) la spontanéité des jeux des enfants en lien avec la nature et 2) l’accompagnement des professionnels en lien avec le vivant et les éléments naturels. Cette étude entame l’esquisse de types de jeux émergeant en forêt et de l’accompagnement des professionnels pouvant les impacter.
Résumé
La présente étude vise à décrire l’engagement d’enfants de 3-5 ans fréquentant des centres de la petite enfance (CPE) québécois œuvrant en éducation par la nature (ÉPN). L’engagement des enfants (n=111)fut étudié avec l’outil d’observation Individualized Classroom Assessment Scoring System, puis à l’aide d’entretiens réalisés auprès de leurs éducatrices (n=15). Les résultats issus de l’observation montrent que l’engagement de l’enfant dans ses apprentissages, d’un niveau moyen-élevé, est le domaine dont le score s’avère le plus élevé en ÉPN. Ce domaine est celui le plus abordé par les éducatrices, en plus d’être relié à l’engagement envers les pairs, d’un niveau moyen-faible. Ces liens inter-domaines sont aussi relevés dans les propos des éducatrices alors qu’elles font état des nombreuses interactions positives des enfants qui s’adonnent à différentes activités partagées en ÉPN. Les résultats font également ressortir le faible niveau d’engagement des enfants envers leur éducatrice. Ces dernières déclarent que les enfants ont peu tendance à les solliciter en ÉPN, puisqu’ils seraient très autonomes : ils initieraient et dirigeraient eux-mêmes leur activité (p.ex., jeu).
Les résultats seront discutés sous l’angle de l’intérêt de l’ÉPN pour favoriser l’engagement des enfants envers leurs pairs et dans leurs apprentissages. Ils pourront éclairer la portée de l’ÉPN en petite enfance, ainsi que l’importance de la voix des éducatrices pour en témoigner.
BLOC 2 – LA MISE EN ŒUVRE DE L’EPN ET SON APPORT À LA QUALITÉ ÉDUCATIVE
Résumé
La recherche confirme l’importance des environnements extérieurs naturels dans le développement physique, émotionnel et intellectuel des jeunes enfants. Des structures d’accueil et d’éducation de la petite enfance de qualité peuvent exercer une influence importante sur le bien-être des enfants. Cependant, la recherche et les politiques entourant la qualité des structures d’accueil se sont majoritairement concentrées sur les environnements intérieurs. Il s’avère donc nécessaire de comprendre la qualité des structures d’accueil à l’extérieur. Cette étude a permis de réaliser 42 groupes de discussion semi-structurés au cours desquels les participants ont été invités à identifier les principales caractéristiques des environnements extérieurs de haute et de faible qualité. Les groupes de discussion étaient composés de participants issus de cinq groupes : 1) personnel éducateur, 2) professionnels responsables du contrôle et de l’élaboration de politiques, 3) parents, 4) enfants et 5) des spécialistes de l’équité, de la diversité et de l’inclusion. Ces participants ont été invités à identifier les principales caractéristiques de structures d’accueil extérieures de qualité faible et élevée, puis leurs réponses ont été utilisées afin de déterminer les points communs, les différences et les préférences concernant les caractéristiques plus générales.
À l’issue d’un processus de transcription, de codage et d’analyses, neuf caractéristiques des structures d’accueil extérieures ont été identifiées (p. ex. préparation du terrain, éléments naturels, intention du programme, interactions, développement professionnel). La majorité de ces neuf caractéristiques ont été identifiées au cours des discussions concernant des structures d’accueil extérieures de qualité élevée et faible. Cependant, le développement professionnel a uniquement été identifié comme une caractéristique associée aux structures d’accueil extérieures de qualité élevée. Les obstacles à la mise en œuvre, quant à eux, ont été identifiés comme caractérisant uniquement des structures d’accueil extérieures de faible qualité. Les constats de cette étude fournissent des indicateurs clairs et explicites des caractéristiques de la qualité des environnements extérieurs des structures d’accueil et d’éducation de la petite enfance provenant d’une diversité d’acteurs du domaine. Enfin, des retombées au niveau politique et de futures orientations sont présentées.
Résumé
La deuxième partie de ce colloque est consacrée à l’étude de la mise en œuvre de l’éducation par la nature (ÉPN) et son apport à la qualité éducative, soit l’axe 2 de l’UMR Petite enfance Grandeur nature. L’ÉPN consiste en une approche éducative privilégiant notamment le contact avec la nature, un autre rapport au temps, la présence de matériaux libres et polyvalents, ainsi que le jeu libre et actif des enfants, accompagné par les adultes. Depuis quelques années, on assiste à l’émergence d’un mouvement en faveur de l’ÉPN en services éducatifs à la petite enfance, au Québec comme ailleurs dans le monde. Or, devant ce déploiement accéléré, des questions se posent : Quel est l’apport de l’ÉPN à la qualité éducative, dont la qualité des interactions est partie prenante ? Quelles sont les pratiques éducatives favorisant son implantation ? Cette présentation vise à apporter quelques éléments de réponse à ces questions, notamment à partir d’une revue des écrits effectuée par notre équipe de recherche. Afin de fournir un premier éclairage sur la qualité des interactions en ÉPN, des données recueillies auprès de 20 groupes d’enfants de 3 à 5 ans, à partir de l’outil Classroom Assessment Scoring System (CLASS), seront aussi présentées. Les propos d’éducatrices et d’éducateurs dégagés à partir d’un entretien semi-dirigé sur la qualité des interactions seront aussi dévoilés.
Résumé
Le soutien à l’apprentissage (SA) en services éducatifs à l’enfance (SÉE) représente un défi pour les éducateur-rice-s. Plusieurs dispositifs de développement professionnel (DP) ont tenté d’en bonifier la qualité. Or, leurs effets semblent modérés et inconstants. Dans ces dispositifs, l’accompagnement était orienté vers les améliorations possibles quant à leur SA, plutôt qu’orienté vers une réflexion sur leurs pratiques, une modalité qui semble essentielle au DP (Markussen-Brown et al., 2017).
Dans cette étude, un dispositif de DP basé sur le Laboratoire de l’analyse vidéo de l’activité (Lussi Borer et Ria, 2016) a été mis en place auprès de 8 éducateur-rice-s à la petite enfance œuvrant en éducation par la nature (ÉPN). Cette approche préconise une pédagogie centrée sur l’enfant qui semble favorable au SA.
Les objectifs de cette étude à devis mixte séquentiel explicatif sont de décrire la qualité du SA en ÉPN avant la mise en place du dispositif et d’y associer les objets d’enquête issus de l’analyse des participant-e-s. Une observation du SA a été réalisée dans chaque groupe avec le CLASS (Pianta et al., 2008). Puis, une analyse qualitative d’un entretien de groupe au sein du dispositif e été menée. Alors que la qualité du SA est faible-moyenne, certains objets d’enquête liés à la gestion du groupe et la sécurité permettent de mieux comprendre la complexité de ce soutien en SÉE. Les résultats seront discutés au regard des formations en petite enfance sur le SA et l’ÉPN.
Résumé
Lors du jeu en nature, la prise de risque est un élément recherché par les enfants. Cette prise de risque est nécessaire au développement global de l’enfant, voire à sa réussite éducative (Brussoni et al., 2015). Le programme cycle à l’éducation préscolaire instauré en 2021 met de l’avant, pour la première fois dans les programmes éducatifs au Québec, l’importance de la prise de risque chez l’enfant d’âge préscolaire et prescrit aux enseignantes la mise en place d’environnements favorisant cette dernière (Ministère de l’éducation, 2021).
Si plusieurs recherches se sont intéressées aux retombées du jeu risqué à l’extérieur sur le développement global des enfants, les recherches s’intéressant aux enseignantes sont plus rares. Pourtant, les prises de risque dans le jeu extérieur sont souvent contraintes dans les milieux éducatifs préscolaires (Hesketh et al. 2017).
Cette présentation va mettre de l’avant les démarches d’enseignantes à l’éducation préscolaire ayant participé à une recherche-action-formation.
Ses objectifs de recherche sont de décrire les changements de pratiques enseignantes liées aux prises de risque dans le jeu, les apports perçus par les enseignantes sur le plan du développement global, les obstacles rencontrés et les conditions à la mise en œuvre de ces pratiques.
Cette présentation sera l’occasion de partager les perceptions initiales des participantes et leur évolution par des exemples de pratiques, de postures et les mécanismes ayant permis cette évolution.
Conclusion de Caroline Bouchard
Je vais terminer par des remerciements.
D’abord, merci à vous d’avoir été là, chères participantes et chers participants ! Merci pour votre participation active tout au long de la journée. Cela rend le colloque intéressant et l’enrichit aussi. En somme, merci pour votre présence généreuse !
Merci aussi aux personnes qui ont présenté, parce que c’est grâce à elles que le colloque peut avoir lieu. On lance des invitations, puis c’est toujours plaisant de recevoir les réponses positives et enthousiastes, dans cette idée de collaboration. Vraiment, merci beaucoup pour la qualité de vos présentations !
Je remercie également les membres du comité organisateur du colloque. Mes collègues, vous vous reconnaissez ! Et merci aussi à Alexandra qui a réalisé la traduction et le sous-titrage pour les deux vidéos anglophones. Toutes ces tâches, réalisées dans l’ombre, sont importantes à souligner.
Merci aux membres de mon équipe de recherche, professionnelles et auxiliaires de recherches, ainsi qu’aux étudiants qui permettent la mise en œuvre de tous les projets. C’est souvent moi qui est à l’avant, mais il ne faut pas oublier que beaucoup de personnes derrière moi contribuent aux divers projets, dont la réalisation de ce colloque.
Merci aussi aux milieux éducatifs qui collaborent avec nous. C’est grâce à eux qu’on peut mener ces travaux et c’est important de le souligner. Merci à l’AQCPE pour son entière collaboration. L’expertise praticienne est d’ailleurs au cœur de nos préoccupations pour que la recherche soit au service de la pratique et de l’innovation.
Le 23 mai 2023 s’est tenu le Lancement de l’Unité Mixte de Rercherche Petite enfance, grandeur nature : mieux comprendre et bonifier l’éducation par la nature pour les tout-petits. (Actualité de l’Université Laval)